Young Thug : l'éternel extra-terrestre du rap US

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Young Thug : l'éternel extra-terrestre du rap US

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Young Thug à Miami en 2018
Young Thug à Miami en 2018
© Getty - Andrew Toth

Les années passent et le rappeur d’Atlanta continue de tracer un chemin assez unique dans le game US.

Le 16 août sortait So Much Fun, dernier projet en date de Jeffrey Lamar Williams alias Young Thug. Profitons-en pour revenir sur son parcours pas comme les autres, qui lui a donné un statut un peu spécial sur l’échiquier du rap américain.

On l’appelle l’ovni

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Pour définir le style de Thugga, on peut commencer par remonter à la source, c’est-à-dire son influence principale revendiquée : Lil Wayne. Entre le jeu avec sa propre voix, la recherche discontinue de nouveaux flows, la limite de plus en plus floue entre rap et chant, tout y est. L’autre élément majeur de son identité musicale reste le trappeur Gucci Mane, figure emblématique d’Atlanta qui l’a repéré en premier et lui a transmis sa façon de bosser : Young Thug est depuis décrit par tous comme une bête de travail, une machine qui ne fait qu’enregistrer en studio, encore et encore. La productivité héritée de Gucci s’accompagne aussi d’une référence plus contemporaine, à savoir Future, ne serait-ce que pour le chant et la façon d’utiliser l’autotune à bon escient. Cela ne s’arrête pas là mais on y reviendra plus tard.

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Ensuite arrivent sa science innée des gimmicks et leur utilisation frénétique. Le gars semble en avoir à l’infini, ses ad-libs sont addictifs et vont de pair avec ses changements incessants de flow, d’intonations, ou même de degré d’articulation. Certains catégorisent Jeffrey dans la rap « post-texte », c’est-à-dire que contrairement aux autres, les mots ne sont pas une fin en soi chez lui, simplement un moyen de bien faire sonner sa voix pour correspondre à l’émotion et l’ambiance qu’il veut transmettre. D’où le côté parfois très perché voire absurde de certains passages qu’on peut s’amuser à isoler pour se foutre de sa gueule d’ailleurs. En clair, c’est avant tout un interprète et plus précisément un petit génie côté flows et mélodies (pluriel de rigueur). Cela induit une nouvelle façon assez unique d’aborder les prods, qu’il occupe comme personne à l’époque, passant du rap marmonné à des envolées chantées et remplissant chaque silence de petits cris venus d’ailleurs, etc. En terme de couplet, plus il progresse dans la maîtrise de son art, plus il s’affranchit totalement de la façon classique de poser, pour préférer faire corps avec l’instru, soit en ajoutant sa propre mélodie par-dessus, soit en variant son flow plus que de raison sur un même morceau. Son usage de l’autotune est aussi assez personnel et donne l’impression qu’il est carrément né avec. D’ailleurs jusqu’à preuve du contraire, c’est une théorie recevable.

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Forcément, son approche en fait un des symboles régulièrement utilisés pour décrire la décadence du rap (abandon des textes, autotune, la forme au détriment fond etc) or concrètement le type devrait simplement être considéré comme le représentant d’une nouvelle branche de cette musique, qu’on est libre d’apprécier ou pas. Cependant il y a un élément qui a enfoncé le clou : son image, complètement décomplexée. Arborant parfois jupe et vernis à ongles, l’artiste cultive un look androgyne à des années-lumière des standards en vigueur dans le rap des années 2010. Cela lui vaut d’être parfois insulté, clashé, mais tout finit par se tasser et, si certains n’acceptent toujours pas ce côté chez lui, l’aspect freak l’emporte et il est surtout vu comme un extraterrestre qui vit dans son monde, atteint avant tout d’une folie artistique dont il serait idiot de se priver.

Influence

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Notre ami est certes loin d’être un ancien mais il a déjà eu le temps de faire beaucoup d’enfants dans le rap. Sans exagérer, toute une génération de rappeurs se sont inspirés de lui consciemment ou non. On a pu retrouver du Young Thug chez Travis Scott, mais aussi chez la génération suivante, même lorsque cela ne saute pas forcément aux yeux : Chance The Rapper, Jaden Smith, 6lack, Lil Uzi Vert, Kodak Black, Lil Yachty, Lil Tracy et bien sûr Lil Baby et Gunna. Les producteurs Wheezy, Metro Boomin ou encore London on da Track ont également pu profiter de certains tubes du rappeur pour développer leur style et leur aura.

En ça on pourrait le rapprocher de Chief Keef, dans la mesure où même s’il est sous-estimé en raison d’une carrière en deçà des premières espérances, son apport au rap US de ces dernières années est indiscutable. Et de la même façon, souvent ce n’est pas Young Thug lui-même qui ramasse les fruits de son travail, mais ses "enfants", produisant un son qui emprunte à sa folie, mais en la calibrant suffisamment pour le grand public, tandis que Thug reste un diamant trop brut pour être vraiment taillé. Cependant il pense lui aussi à sa propre relève dans la mesure où il a fondé le label YSL, où l’on retrouve Gunna, Lil Duke, Lil Keed et bien d’autres.

Leaks en pagaille et projets dans les limbes

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La carrière du Jeune Voyou est à la fois un cimetière de projets avortés et un buffet à volonté de morceaux qui ont fuité.

Thugga a subi des leaks massifs, et plutôt deux fois qu’une. Voire 6 fois. D’un côté c’est impressionnant et ça confirme que le gugusse n’a pas menti sur sa méthode de travail : on le croit quand il dit avoir des centaines voire des milliers de morceaux en réserve. L’aspect moins rassurant c’est que lorsque l’on se plonge là-dedans on fait face à un bordel sans nom où l’on passe de morceaux inachevés à des tubes potentiels sans oublier bon nombre d’expérimentations dont seul YT a le secret… Difficile de se faire un avis sur son évolution artistique tant la confusion laisse le sentiment que l’ami part dans tous les sens, tout le temps. Mais soyons honnêtes, à l’arrivée il y a bien évidemment le plaisir d’écouter des inédits inattendus – chaque leak contient toujours son lot de pépites. En revanche du côté de l’artiste, c’est loin d’être aussi simple. Chaque leak enterre des morceaux jamais sortis, révèle des maquettes destinées à la base à des projets officiels, bref ça complique un peu tout.

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Viennent ensuite les projets qui n’ont simplement jamais vu le jour. Là c’est le festival. Entre les albums collaboratifs jetés aux oubliettes, les énormes soucis de contrat qui bloquent les sorties, les projets qui ont pris trop de retard et ont été abandonnés, on a l’embarras du choix. Ainsi le volume 2 de la tape Tha Tour de Rich Gang a été annulé sans qu’on sache bien si c’est la faute des leaks ou si les artistes se sont simplement éloignés les uns des autres pour de bon, plus personne ne parle du projet d’album avec Travis Scott,

Le plus gros regret reste donc HiTunes, qui aurait dû être le véritable premier album de Young Thug, sur lequel il misait beaucoup. Il n’y a plus aucun espoir aujourd’hui d’en écouter une quelconque version, même si l’artiste a dû recycler des couplets voire des morceaux entiers pendant la suite de sa carrière. On pourrait mentionner également Metro Thuggin, tant l’alchimie entre le beatmaker Metro Boomin et Thugga a toujours marché, mais la plaie est encoure ouverte : le producteur s’est mis à reparler d’une potentielle sortie. On croise donc une énième fois les doigts mais c’est cruel de jouer avec nos nerfs comme ça. Sinon il a aussi annulé au dernier moment pas mal de concerts, mais ça on s’en fout.

Un label à la traîne ?

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Une partie des fans du rappeur ne sont pas vraiment satisfaits de l’évolution de sa carrière. Parmi eux, certains pointent du doigt son label, 300 Entertainment. Alors OK ce n’est pas poli de monter du doigt, mais pour le coup c’est un peu justifié. Cela peut sembler étrange mais au fil des années les zozos se sont forgés une solide réputation de bras cassés. En gros, c’est un label qui accompagne sans problème les succès de ses artistes, mais qui ne fait pas grand-chose pour les déclencher. Ca paraît fou vu leur omniprésence aujourd’hui mais même Migos a connu une période creuse et ne doivent leur retour qu’à eux-même (et ils ont quitté le label à présent). Idem côté Thug, le bonhomme semble parfois totalement livré à lui-même, sauf que lui-même, c’est pas l’idéal : il est "juste" un artiste de talent, pas un directeur artistique ou un responsable de stratégie marketing. Pareil en terme de promo pure et dure, comparé à d’autres artistes de son niveau de notoriété, Thugga n’a pas souvent eu accès à des médias ou apparitions publiques qui lui feraient pourtant du bien. Même chose encore pour les placements : comme dit plus haut, à une époque le jeune homme était courtisé par à peu près tout le monde, véritable mercenaires à singles, valeur sûre des featurings… Tout ça n’a jamais vraiment été pérennisé, de sorte que quand l’effet de nouveauté (on ne va pas dire "mode", il est quand même au-dessus de ça), rien ou presque n’a été fait pour relancer la machine.

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C’est comme si 300 Entertainment attendait que ça se passe, quitte à laisser filer pas mal de choses. Mais d’un autre côté, il arrive aussi que Jeffrey fasse tout simplement n’importe quoi, tout seul comme un grand. Parfois ça donne des résultats assez amusants comme le "clip" ci-dessus résultant de son absence imprévue sur le tournage, parfois ça l’envoie en prison, et parfois ça lui fait sortir des projets en-dessous de son potentiel. Ce qui nous amène au dernier point.

G.O.A.T ?

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On arrive à la grande question : Young Thug est-il vraiment un des prétendants au titre de G.O.A.T (Greatest Of All Time) comme l’affirment ses fans ou faut-il se résoudre à n’y voir qu’un Gâchis of all time, comme le revendique une autre partie de son public ?

C’est finalement un dilemme façon verre à moitié vide/à moitié plein, et comme souvent la réponse est un peu deux. Si on cumule l’ensemble de son œuvre jusqu’à présent, il y a suffisamment de réussites et d’innovations pour contenter le plus exigeant des aficionados. Mais si ce fan raisonne uniquement du point de vue carrière et place dans le game par rapport à ce qu’il fantasmait pour lui, c’est sûrement décevant.

En écoutant son dernier bébé, So Much Fun, il est vrai que l’on ne retrouve pas forcément le génie qui faisait son charme à chaque piste. Pour autant, partir du principe qu’il aurait  perdu son mojo du milieu des années 2010 est impossible dans la mesure où il suffit d’écouter son dernier leak (oui, il y en a encore eu un cette année) pour trouver des perles. Sans parler du fait qu’outre ses influences évidentes, il faut maintenant ajouter dans son identité musicale de la pop, du reggae, et la liste s’allongera encore tant qu’il sera en mesure de s’amuser au micro.

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Peut-être faut-il se résigner et accepter que Young Thug ne sortira jamais son album définitif, mais simplement des projets de qualité de manière irrégulière, et que ça n’enlève strictement rien à son talent. Une sorte de surdoué qui préfère faire des dessins sur les marches plutôt que chercher à s’asseoir sur le trône. Et puis un mec qui écrase tous ses featurings en marmonnant/fredonnant des trucs incompréhensibles tout en ayant la coiffure de la princesse Leia, c’est déjà beaucoup.

Laissons à présent la conclusion à un expert de la question, Alkpote : "ah ouais il ressemble un peu à Joe Lucazz physiquement. Mais c’est une sacré bébête, une sacré bestiole, androgyne, il représente bien l’époque. Mais son rap, aussi, il est super fort. Cet enfoiré de Young Thug me fait voir les homosexuels différemment. On est en 2016 tu vois, les Jean-Paul Gauthier et tout, je les vois d'un autre œil. Je suis un peu plus ouvert."

Et ça c’est une belle victoire.