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Assassinat de Qassem Soleimani : un raid américain à la légalité contestable

La frappe américaine qui a entraîné vendredi la mort de l’influent général iranien Qassem Soleimani repose sur des fondations légales fragiles aussi bien au regard du droit international que de la doctrine américaine en matière d’assassinats ciblés.

Qassem Soleimani a été tué par un drone américain.
Qassem Soleimani a été tué par un drone américain. Hamad I Mohammed, Reuters
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Trois courts paragraphes ont suffi au ministère américain de la Défense pour justifier la décision de lancer le raid meurtrier contre le puissant général iranien Qassem Soleimani, vendredi 3 janvier, en Irak.

La frappe aérienne y est qualifiée d’acte de défense visant à neutraliser un homme qui, à la tête de la Force al-Qods des Gardiens de la révolution iranienne – un groupe inscrit sur la liste des organisations terroristes par Washington –, "développait des plans pour attaquer" des ressortissants américains. L’opération américaine avait également pour objectif, d’après le communiqué, de "dissuader" l’Iran de mener d’autres attaques.

Légitime défense ?

Une justification qui a laissé les spécialistes du droit international perplexes. L’assassinat "est très probablement illégal et viole les règles du droit international humanitaire", a assuré sur Twitter Agnès Callamard, la rapporteure spéciale sur les exécutions extrajudiciaires au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme.

En droit international, les assassinats extraterritoriaux perpétrés par un État ne sont légaux que dans trois hypothèses : lorsque le pays où ils sont menés y consent, en cas de légitime défense ou si le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies les autorise. L’Onu n’a pas été consultée, ce qui laisse les deux autres cas. "Il est vrai que l’Irak consent aux activités militaires américaines sur son territoire mais uniquement pour l’entraînement des troupes et pour la lutte contre le mouvement terroriste État islamique", souligne Dapo Akande, codirecteur de l’Oxford Institute for Ethics, Law & Armed Conflict, contacté par France 24.

Reste donc la légitime défense qui constitue l’argument central du département américain de la Défense. Il souligne la nature "défensive" du raid meurtrier qui visait à empêcher Qassem Soleimani de mener à bien des attaques. Mais selon les normes internationales, la menace doit être imminente, rendant la frappe nécessaire. Et c’est là que le bât blesse car "le communiqué ne fait qu’évoquer des plans pour des attaques futures, ce qui cadre mal avec la définition d’une menace imminente", estime Luca Trenta, chercheur en relations internationales à l’université de Swansea (pays de Galles) et spécialiste de la politique étrangère américaine, contacté par France 24.

Pour cet expert, c’est d’ailleurs l’une des principales différences avec le programme d’assassinats ciblés par drones mené notamment sous la présidence de Barack Obama. "Les autorités justifiaient les frappes par une menace imminente contre des intérêts américains", souligne-t-il.

L’autre grande différence était que les drones tueurs ont toujours visé des membres de groupes terroristes non-étatiques, comme des leaders d’Al-Qaïda ou de l’organisation État islamique. Cette fois-ci, Washington a visé un représentant officiel d’un État. Une nuance légale de taille car "on peut dire que les États-Unis ont attaqué deux pays en même temps : l’Irak, où le raid a été mené sans autorisation, et l’Iran, dont Qassem Soleimani était l’une des figures politiques centrales", explique Dapo Akande.

Retarder la procédure de destitution contre Trump ?

Si le raid aérien est difficilement justifiable au regard du droit international, il cadre mal aussi avec la doctrine nationale américaine, n’en déplaise au secrétaire d’État Mike Pompeo, qui a assuré sur Fox News que cet assassinat était "tout à fait légal".

L’approche américaine en la matière a beaucoup évolué depuis les années 1970. "C’est à cette époque que les assassinats ciblés ont été interdits. Dans les années 1980, le président Ronald Reagan a introduit des exceptions pour prévenir des actions terroristes puis, après les attentats du 11 septembre 2001, ils ont été beaucoup plus largement acceptés dans le cadre de la guerre contre le terrorisme. Mais les autorités partaient toujours du principe que les cibles étaient des combattants de mouvements non-étatiques", rappelle Luca Trenta.

C’est donc, là encore, la qualité de dignitaire officiel d’un État qui pose problème. "C’est une interprétation très discutable des règles par l’administration Trump, qui prend pour argent comptant qu’on peut assassiner des représentants officiels d’un pays, alors que c’est une question qui n’a jamais été débattue aux États-Unis", note l'expert de l’université de Swansea.

Mais les spécialistes interrogés s’accordent à dire que les libertés prises par le président américain avec les normes ne devraient pas lui coûter cher. "Je vois mal l’Iran attaquer les États-Unis devant un tribunal international. Tout au plus, Téhéran pourrait se prévaloir de cet assassinat pour justifier des attaques contre des intérêts américains en brandissant, à son tour, la légitime défense", estime Dapo Akande.

Sur le plan interne, cette opération pourrait même lui profiter politiquement. "Je ne serais pas étonné si des responsables républicains se saisissent de l’occasion pour essayer de retarder la procédure de destitution du président sous prétexte qu’il faut donner la priorité à la crise iranienne", anticipe Luca Trenta.

En revanche, cette interprétation très large de la légitime défense par Donald Trump risque d’avoir des conséquences très lourdes, et pas seulement sur le plan diplomatique ou géopolitique. "Beaucoup de pays se sont inspirés de la doctrine américaine pour les assassinats ciblés, et le risque existe qu’ils estiment pouvoir dorénavant s’en prendre également à des officiels ou agir même lorsque la menace n’est pas immédiate", craint Lucra Trenta. Autrement dit, les États-Unis deviennent un exemple de plus en plus dangereux à suivre.

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